Le divorce pour faute ne prive pas automatiquement l’époux fautif d’une prestation compensatoire. Depuis la réforme de 2004, la loi dissocie les causes et les conséquences du divorce, permettant au juge de compenser la disparité financière créée par la rupture, même en présence de torts exclusifs.
Le juge conserve toutefois un pouvoir d’appréciation : il peut refuser ou réduire la prestation si l’équité le commande, au regard des circonstances particulières de la rupture. Comprendre ces règles permet d’anticiper les enjeux financiers d’une procédure contentieuse et de préparer un dossier solide.
🕒 L’essentiel en bref
- ✨ La faute n’interdit pas la prestation compensatoire
- ✨ Le juge peut refuser si l’équité le justifie
- ✨ Fixation selon 9 critères légaux (art. 271)
- ✨ Capital privilégié, versement échelonné possible (8 ans max)
La faute empêche‑t‑elle la prestation compensatoire ?
Non, la faute n’exclut pas automatiquement le droit à prestation compensatoire. L’article 270 du Code civil pose le principe : l’un des époux peut être tenu de compenser la disparité créée par le divorce, même si celui qui la réclame porte les torts.
Règle de principe de l’article 270 et dissociation faute/effets
Depuis la loi du 26 mai 2004, causes et conséquences du divorce sont dissociées. Le juge ne sanctionne plus automatiquement l’époux fautif en lui refusant toute compensation financière. L’objectif est d’éviter qu’une rupture n’entraîne un déséquilibre de niveau de vie durable, quelle que soit la responsabilité dans l’échec du mariage.
L’alinéa 3 de l’article 270 prévoit néanmoins une exception : « La prestation compensatoire peut être refusée, ou son montant réduit, lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui en exige le bénéfice, au regard des circonstances particulières de la rupture. »
Notion d’« équité » et cas typiques de refus
Le juge apprécie l’équité au cas par cas. Les fautes d’une particulière gravité justifient souvent un refus : violences conjugales répétées, gestion financière frauduleuse, abandon brutal du foyer conjugal avec enfants mineurs.
Les tribunaux considèrent que ces circonstances rendent inéquitable l’octroi d’une prestation, même en présence d’une disparité objective. Le refus reste néanmoins minoritaire : la plupart des jugements accordent la prestation malgré la faute, dès lors qu’un déséquilibre significatif existe.
Exemple d’attribution malgré la faute (déséquilibre marqué)
Une épouse obtient le divorce aux torts exclusifs de son mari pour adultère. Elle a interrompu sa carrière durant 15 ans pour élever les enfants. Le juge constate un écart de revenus de 3 000 € mensuels et un patrimoine déséquilibré. Malgré la faute, il accorde une prestation compensatoire de 80 000 €, considérant que l’adultère, bien que fautif, ne constitue pas une circonstance suffisamment grave pour justifier un refus au regard de la disparité marquée.
À retenir : La faute n’annule pas le droit à compensation si le déséquilibre financier est avéré et si les circonstances ne sont pas d’une exceptionnelle gravité.
Quels critères le juge retient pour fixer le montant ?
Le juge fonde sa décision sur l’article 271 du Code civil. Il apprécie la situation au moment du divorce et son évolution prévisible, en comparant les besoins du créancier et les ressources du débiteur.
Liste exhaustive des critères art. 271
Le juge examine notamment :
- La durée du mariage
- L’âge et l’état de santé des époux
- Leur qualification et situation professionnelles
- Les conséquences des choix professionnels (interruption carrière, éducation enfants)
- Le patrimoine estimé ou prévisible (capital et revenus)
- Les droits existants et prévisibles
- La situation en matière de pensions de retraite
- Les charges respectives (crédits, loyers, enfants)
- Le contexte familial global
Cette liste n’est pas limitative : le juge peut intégrer d’autres éléments pertinents.
Pièces utiles pour objectiver chaque critère
Un dossier solide repose sur des justificatifs précis : 3 derniers bulletins de salaire, avis d’imposition, relevés bancaires et d’épargne, titres de propriété, tableaux d’amortissement de crédits, attestations employeur ou Pôle emploi, relevés de droits retraite, certificats médicaux si besoin.
Chaque pièce doit être reliée à un critère de l’article 271. Plus le dossier est documenté, plus la demande gagne en crédibilité.
Erreurs fréquentes à éviter (barèmes, confusion pension alimentaire)
Aucun barème légal n’existe pour calculer la prestation compensatoire. Les simulateurs en ligne ne sont qu’indicatifs. Autre erreur courante : confondre prestation compensatoire et pension alimentaire. La première compense un déséquilibre entre ex-époux, la seconde couvre les besoins des enfants. Elles sont indépendantes et cumulables.
Capital, rente ou remise de biens : quelles modalités et délais ?
Le juge choisit la forme de versement la plus adaptée. Le capital, immédiat ou échelonné, est la modalité privilégiée.
Capital unique vs échelonné (conditions et délais)
Le capital unique intervient dans les 12 mois suivant le jugement définitif. Le débiteur bénéficie d’une réduction d’impôt de 25 %, le créancier n’est pas imposé.
Le capital échelonné permet un paiement fractionné sur 8 ans maximum. Le juge fixe le montant total, la périodicité et la durée. Les versements sont déductibles pour le débiteur, imposables pour le créancier comme une pension alimentaire. Le débiteur peut demander une révision des modalités en cas de changement important de situation.
Remise de biens et impacts patrimoniaux
La prestation peut prendre la forme d’une attribution en pleine propriété d’un bien immobilier ou mobilier, ou d’un droit temporaire (usufruit, usage). Cette solution évite les difficultés de liquidités mais modifie la répartition patrimoniale. Le bien est évalué à sa valeur au jour du jugement et impute le montant de la prestation.
Rente viagère : cas exceptionnels et risques
La rente viagère demeure exceptionnelle. Elle s’applique lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier justifie un soutien durable, et que le débiteur ne peut verser un capital. La rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important de situation des deux parties. Le risque : elle pèse sur la succession du débiteur si celui-ci décède avant le créancier.
| Modalité | Avantages | Inconvénients |
| Capital unique | Apurement rapide, fiscalité avantageuse | Nécessite liquidités importantes |
| Capital échelonné | Étalement sur 8 ans, déductibilité | Imposable pour le créancier |
| Remise de biens | Pas de sortie de trésorerie | Modifie la répartition patrimoniale |
| Rente viagère | Soutien durable | Pèse sur la succession, révisable |
Cas d’usage : Le capital unique convient aux situations où le débiteur dispose de liquidités ou peut vendre un bien. Le capital échelonné s’impose quand la trésorerie est limitée mais les revenus réguliers. La rente reste réservée aux situations de fragilité durable du créancier.
Quand et comment demander la prestation compensatoire ?
La demande se formule durant la procédure de divorce devant le juge aux affaires familiales (JAF). Passé le jugement définitif, aucune demande ultérieure n’est recevable.
Étapes procédurales clés (saisine, audience, décision)
- Saisine du JAF : L’avocat intègre la demande de prestation compensatoire dans l’assignation ou les conclusions.
- Constitution du dossier : Rassemblement des pièces justificatives (revenus, patrimoine, charges).
- Audience de conciliation : Tentative d’accord amiable sur le principe et le montant.
- Audience de plaidoirie : Débats contradictoires, évaluation par le juge.
- Jugement : Le juge statue sur le principe, le montant et les modalités.
Rôle de l’avocat et stratégie de preuve
L’avocat est obligatoire en procédure contentieuse. Il chiffre la demande, sélectionne les pièces pertinentes et les relie aux critères de l’article 271. Une stratégie efficace repose sur la démonstration d’une disparité objective : écarts de revenus, patrimoine déséquilibré, sacrifices professionnels documentés.
Délais et points d’attention (appel, exécution)
Le jugement peut être frappé d’appel dans un délai d’un mois. La prestation fixée en capital devient exigible dès que le jugement est définitif. En cas de non-paiement, le créancier dispose de voies d’exécution forcée : saisie sur salaire, saisie immobilière, saisie-attribution bancaire.
Dans quels cas l’équité conduit‑elle au refus ?
Le refus fondé sur l’équité reste exceptionnel. Il intervient lorsque les circonstances particulières de la rupture rendent le versement d’une prestation choquant.
Notion de circonstances particulières de la rupture
Les circonstances particulières désignent des fautes d’une gravité inhabituelle : violences physiques ou psychologiques répétées, détournement de fonds communs, abandon du domicile conjugal en laissant conjoint et enfants dans le dénuement, adultère avec dilapidation du patrimoine.
Exemples jurisprudentiels récents (refus vs octroi)
Refus : Un époux condamné pour violences conjugales réitérées se voit refuser toute prestation, le tribunal estimant que l’équité s’oppose à ce qu’il bénéficie d’une compensation financière (TJ Boulogne-sur-Mer, juin 2024).
Octroi malgré la faute : Une épouse aux torts exclusifs pour abandon du domicile obtient 60 000 € de prestation compensatoire en raison d’un déséquilibre de revenus de 2 500 € mensuels et d’une interruption de carrière de 12 ans. Le juge considère que l’abandon ne constitue pas une circonstance suffisamment grave.
Comment documenter ou contester l’équité
Pour obtenir un refus, le débiteur doit produire des preuves tangibles de la gravité des fautes : plaintes pénales, certificats médicaux, témoignages, attestations bancaires. Pour contester un refus, le créancier démontre la disproportion entre la faute reprochée et la disparité subie, en s’appuyant sur la jurisprudence majoritaire favorable à l’octroi.
Divorce pour faute vs consentement mutuel : quelles différences sur la prestation ?
La logique de compensation reste identique, mais le mode de fixation diffère.
Mode de fixation en accord (convention, homologation)
En consentement mutuel, les époux négocient librement le montant et les modalités dans la convention de divorce. L’accord peut prévoir des clauses de révision élargies, un échelonnement supérieur à 8 ans, ou des conditions spécifiques. Le notaire homologue la convention sans intervention du juge.
Contentieux : pouvoirs d’appréciation du juge
En divorce pour faute, le juge tranche en cas de désaccord. Il fixe le montant selon les critères de l’article 271 et peut, exceptionnellement, refuser la prestation au nom de l’équité. Le débiteur ne peut imposer ses vues, le créancier doit prouver la disparité.
Conséquences pratiques (délais, coûts, prévisibilité)
| Type de divorce | Fixation | Délai moyen | Coût | Prévisibilité |
| Consentement mutuel | Conventionnelle | 1 à 3 mois | Modéré | Élevée |
| Divorce pour faute | Judiciaire | 12 à 24 mois | Élevé | Faible |
Comment calculer et justifier le montant demandé ?
Aucun barème légal n’existe, mais une méthode rigoureuse s’impose pour crédibiliser la demande.
Méthode pas à pas (revenus, charges, patrimoine, retraites)
- Revenus : Calculer l’écart mensuel net entre les deux époux (salaires, revenus fonciers, allocations).
- Charges : Lister les charges incompressibles (loyer, crédits, frais de garde).
- Patrimoine : Évaluer la répartition post-liquidation (immobilier, épargne, placements).
- Retraites : Estimer la perte de droits à retraite liée aux interruptions de carrière.
- Projection : Anticiper l’évolution prévisible (reconversion, retraite proche, état de santé).
Dossiers et preuves financières (relevés, évaluations, attestations)
Un dossier complet comprend : avis d’imposition, bulletins de salaire sur 12 mois, relevés bancaires, titres de propriété, évaluations immobilières, tableaux d’amortissement crédits, relevés de droits retraite, attestations Pôle emploi ou CAF, certificats médicaux si pertinent.
Scénarios d’exemples (carrière interrompue, reconversion, santé)
Carrière interrompue : Une épouse a cessé son activité 10 ans pour élever 3 enfants. Écart de revenus : 2 800 € mensuels. Perte estimée de droits retraite : 400 € mensuels. Montant demandé : 120 000 € (compensation sur 20 ans d’écart post-retraite).
Reconversion : Un époux en reconversion professionnelle perçoit 1 200 € mensuels contre 4 500 € pour son ex-conjoint. Durée du mariage : 18 ans. Montant demandé : 70 000 € (2 ans de transition estimés).
Santé : Une épouse atteinte d’une maladie invalidante ne peut reprendre son activité. Patrimoine déséquilibré. Montant demandé : 150 000 € en capital + attribution d’un bien immobilier.
Peut‑on modifier, réviser ou convertir la prestation après jugement ?
La révision est strictement encadrée et limitée selon la forme de la prestation.
Révision pour changement important de situation
Seule la prestation en rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important des ressources ou besoins de l’une ou l’autre partie (article 276-3 du Code civil). Le changement doit être imprévisible au moment du jugement : perte d’emploi, maladie grave, héritage conséquent.
Pour le capital échelonné, seul le débiteur peut demander une révision des modalités de paiement (report, suspension) en cas de changement important de sa situation financière. Le montant total reste fixe.
Conversion et modalités d’exécution forcée
Le débiteur d’une rente peut demander sa conversion en capital s’il ne peut plus la régler. Le créancier peut aussi la solliciter si la situation financière du débiteur le permet. Le juge calcule le capital de substitution en fonction de l’âge du créancier et du solde restant dû.
En cas de non-paiement, le créancier dispose de voies d’exécution forcée : saisie-attribution, saisie sur salaire, saisie immobilière.
Incidents de paiement et voies de recours
Le défaut de paiement constitue un abandon de famille si le débiteur dispose de moyens suffisants. Le créancier peut engager une procédure pénale. Sur le plan civil, les intérêts de retard courent et les voies d’exécution s’ouvrent dès la première échéance impayée.
Conditions de révision : Changement imprévisible, majeur, affectant durablement les ressources ou besoins. Le simple inconfort ne suffit pas.
Quelles pièces fournir pour maximiser ses chances ?
Un dossier probant aligne pièces financières, éléments de carrière, santé, patrimoine et charges.
Revenus et charges (12 derniers mois, budgets)
- 3 derniers bulletins de salaire ou justificatifs de revenus (RSA, Pôle emploi, indemnités journalières)
- Avis d’imposition ou déclaration de revenus
- Relevés bancaires sur 12 mois
- Justificatifs de charges (loyer, crédits, frais de garde, assurances)
Patrimoine et retraites (évaluations, relevés)
- Titres de propriété et évaluations immobilières
- Relevés de comptes épargne et placements
- Tableaux d’amortissement des crédits en cours
- Relevés de droits retraite (relevé de carrière, estimation retraite)
- Contrats d’assurance-vie
Éléments contextuels (enfants, santé, formation)
- Certificats de scolarité et attestations de frais de garde
- Certificats médicaux si état de santé impacte l’activité
- Attestations employeur ou Pôle emploi
- Justificatifs de formation ou reconversion
- Déclaration sur l’honneur prévue par l’article 272 du Code civil
Jurisprudence utile à connaître (tendances)
Les décisions récentes confirment la ligne jurisprudentielle : octroi majoritaire malgré la faute, refus exceptionnel en cas de gravité particulière.
Attribution malgré la faute : critères déterminants
Les juges accordent la prestation dès lors qu’un déséquilibre significatif existe, indépendamment de la faute. Les critères déterminants : durée du mariage longue (plus de 10 ans), interruption de carrière documentée, écart de revenus supérieur à 2 000 € mensuels, patrimoine déséquilibré post-liquidation.
Refus pour circonstances graves : exemples typiques
Les refus visent des fautes d’une particulière gravité : violences conjugales répétées avec condamnation pénale, détournement de fonds communs, abandon brutal du domicile en laissant conjoint et enfants sans ressources, adultère avec dissimulation et dilapidation du patrimoine commun.
Points d’attention en appel
En appel, le juge réexamine l’ensemble du dossier. Il peut augmenter ou diminuer le montant, modifier les modalités, ou accorder une prestation refusée en première instance. La production de pièces nouvelles (évolution de situation, éléments omis) influence souvent la décision.
Textes de référence et acteurs compétents
Le cadre légal de la prestation compensatoire repose sur le Code civil et l’intervention du juge aux affaires familiales.
Articles 270–271 : points clés à retenir
Article 270 : Pose le principe de la prestation compensatoire destinée à compenser la disparité créée par le divorce, et l’exception d’équité permettant le refus en cas de torts exclusifs et de circonstances particulières.
Article 271 : Liste les critères d’évaluation (durée mariage, âge, santé, carrière, patrimoine, retraites, charges). Cette liste est indicative, non limitative.
Rôle du tribunal judiciaire et du JAF
Le juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal judiciaire statue sur la prestation compensatoire. Il apprécie souverainement le montant et les modalités, sous contrôle de la cour d’appel. L’avocat est obligatoire en procédure contentieuse.
Où s’informer et se faire assister (officiels)
- Service-public.fr : Informations officielles sur le divorce et la prestation compensatoire
- Justice.fr : Fiches pratiques et contacts des tribunaux judiciaires
- Ordre des avocats : Annuaire des avocats spécialisés en droit de la famille
- Légifrance : Consultation gratuite des textes légaux et jurisprudence
Sources : Articles 270 à 281 du Code civil, loi n°2004-439 du 26 mai 2004, loi n°2000-596 du 30 juin 2000.
